Une ambulance doit-elle rouler vite?
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Une ambulance doit-elle rouler vite?
Nous nous sommes tous, un jour, laissés dépasser par une ambulance roulant à tombeau ouvert, toutes sirènes hurlantes. Et ce jour-là, la sagesse collective nous a soufflé que nous avions fait ce qu'il fallait; que dans cette situation, chaque seconde compte. Pourtant, en médecine d'urgence, la question de la vitesse demeure sujette à polémique. Il existe à ce sujet plusieurs exemples tragiques et contradictoires.
Prenez le cas d'Ashley Leveillee, une petite fille qui paraissait en parfaite santé. Un jour d'été 1996, non loin de Boston, Ashley fait une attaque; elle bleuit à vue devant ses parents horrifiés. L'ambulance fait un détour compliqué, et met 22 minutes à arriver sur place. Les ambulanciers ne sont pas particulièrement pressés (si l'on en croit le témoignage des policiers): une fois sur les lieux, ils remontent tranquillement l'allée menant à la maison. Ils tardent à administrer son médicament au bébé; elle en a pourtant besoin en urgence. Ashley a survécu, mais elle est paralysée à vie. Ses parents ont reçu une indemnité de 10 millions de dollars, et ce en partie parce que le personnel de soin avait été "trop lent".
Le cas Lady Di
La mort de la princesse Diana, en 1997, est un exemple plus célèbre de la lenteur parfois fatale des soins d'urgence. Selon les rapports, l'ambulance de Diana n'aurait dû mettre qu'entre cinq et dix minutes pour atteindre l'hôpital; elle en mit quarante. Le chauffeur respectait les procédures d'urgence françaises, il a donc conduit lentement pour "ne pas exposer la patiente à des chocs et à des heurts". John Oschner, spécialiste américain de chirurgie cardiovasculaire, estime que Diana aurait pu être sauvée si elle était arrivée aux urgences plus tôt.
Parmi les exemples inverses, on peut citer celui d'une femme qui n'avait qu'une blessure au doigt: son ambulance traversa un carrefour avec sirène et gyrophares (ce que les ambulanciers américains appellent "to be running hot") et heurta un autre véhicule; le choc lui fut fatal. Récemment, à New York, on a pu assister à deux accidents d'ambulance mortels; dans les deux cas, les chauffeurs avaient roulé à toute vitesse pour aller porter secours aux malades. Le «registre des accidents d'ambulances» fait état de plusieurs véhicules de secours ayant, au final, eu besoin d'être secourus.
Rien ne symbolise mieux l'importance du temps dans la médecine d'urgence que l'ambulance qui trace sa voie, gyrophare allumé, sirène hurlante. On a parfois raison de penser que la vitesse est un atout: lorsqu'un patient fait un arrêt cardiaque, par exemple, il faut commencer la réanimation cardio-respiratoire le plus tôt possible; les chances de survie dépendent pour beaucoup du temps de réaction. Mais dans beaucoup d'autres cas, le temps (on parle ici de minutes) joue un rôle moins déterminant qu'on a pu le penser.
Prenez "l'heure d'or", un concept de médecine d'urgence, si célèbre et si reconnu que la télévision britannique en a même fait le titre d'une série médicale. La théorie de l'heure d'or veut que les patients gravement blessés aient beaucoup plus de chances de survivre s'ils arrivent à l'hôpital dans l'heure qui suit leur accident. Sur le papier, cette théorie semble tenir la route: si vous souffrez d'une hémorragie interne, le chirurgien doit pouvoir vous traiter le plus vite possible pour l'arrêter. Mais si l'heure d'or est devenue un dogme, il se trouve qu'aucune étude médicale sérieuse ne vient confirmer la validité de ce concept.
Vitesse et survie
Une récente étude parue dans les Annals of Emergency Medicine remet même en cause cette théorie pour ce qui est des patients atteints de blessures graves. Les auteurs ont étudié plus de 3000 patients souffrant de traumatismes particuliers: chute de la tension artérielle due à une hémorragie, à une blessure à la tête ou à un problème respiratoire. A chaque fois, ils ont noté à quel moment les secours avaient été alertés. Ils ont comparé ces données avec l'état dans lequel les patients étaient sortis de l'hôpital.
Résultat: le fait que les services de secours aient été appelés plus tôt n'augmentait pas les chances de survie de manière significative. Cette découverte est fascinante, et ce en partie parce que la question centrale "quelle est l'importance de la rapidité des soins avant l'arrivée à l'hôpital ?" n'avait jamais donné lieu à une analyse aussi fine. D'autres études avaient tenté de mesurer le rôle que jouait la vitesse des ambulances dans la survie des patients, mais elles s'étaient heurtées à un problème de taille: les ambulanciers se comportant différemment suivant la gravité de la situation (vitesse de conduite, temps passé avec les patients), il était impossible de faire ressortir le rapport entre temps et survie. La nouvelle étude a rencontré les mêmes problèmes, mais les auteurs ont eu recours à plusieurs méthodes sophistiquées pour remédier à nombre d'entre eux; ce qui permet au lecteur de comprendre qu'en toute logique, quelques minutes de plus ou de moins ne condamnent ni ne sauvent les patients souffrant de graves traumatismes.
Quelles seront les conséquences de ces nouveaux résultats ?
Ils pourraient amener les ambulanciers à conduire plus prudemment. Les rédacteurs en chef de la revue qui a publié l'étude affirment ainsi que "pour les patients atteints de traumatismes, le protocole de transport habituel; gyrophare et sirène (...) pourrait ne pas être justifié". Cette conclusion est en partie motivée par une prise de conscience croissante des dangers que représente une ambulance lancée à pleine vitesse. Les accidents sont relativement fréquents; le taux de mortalité des ambulanciers est presque trois fois supérieur à celui de l'employé américain moyen. Dans certaines régions, trois accidents d'ambulance sur quatre surviennent lorsque le véhicule roule à pleine vitesse; les sirènes et les gyrophares ne font pourtant gagner que très peu de temps. Et il y a plus grave: ces accidents font plusieurs victimes extérieures à l'ambulance (lorsque le véhicule fait une embardée et percute une voiture, ou qu'il fauche un malheureux piéton); leurs blessures sont en général très sérieuses.
Mais il serait faux, et irresponsable, de prétendre que le temps n'est pas un facteur d'importance dans le domaine des soins d'urgence. Il faut parfois réagir aussi vite que possible; pratiquer la méthode de Heimlich sur une personne en train de s'étouffer peut lui sauver la vie, tout comme les chocs électriques chez les patients en arrêt cardiaque. Reste que les études les plus récentes et les plus approfondies laissent penser que certains aspects du transport de patients gravement atteints pourraient être plus importants que le facteur temps. Nous devrions donc tenter d'identifier les pratiques qui permettent de gagner quelques minutes, sans permettre pour autant de sauver des vies. C'est un point important, car on évalue la qualité de nombreuses sociétés d'ambulances privées en fonction de leur temps de réponse, ce qui pourrait encourager les ambulances à continuer à rouler à toute allure.
Il est peut-être temps de dire aux ambulanciers de ralentir et de se faire plus discret. Les organisations de professionnels des soins pré-hospitaliers y travaillent: des rapports comme celui-ci, réalisé par la National Association of EMS Physician (Association nationale des professionnels de l'aide médicale urgente) traduisent ce besoin de trouver un moyen de concilier vitesse et sécurité. Nous ne voulons pas que l'histoire d'Ashley se reproduise, mais nous ne voulons pas non plus que les ambulanciers mettent en danger leurs propres vies, celles de leurs patients et celles des autres; surtout maintenant que nous savons que la survie n'est pas toujours une question de minutes.
Prenez le cas d'Ashley Leveillee, une petite fille qui paraissait en parfaite santé. Un jour d'été 1996, non loin de Boston, Ashley fait une attaque; elle bleuit à vue devant ses parents horrifiés. L'ambulance fait un détour compliqué, et met 22 minutes à arriver sur place. Les ambulanciers ne sont pas particulièrement pressés (si l'on en croit le témoignage des policiers): une fois sur les lieux, ils remontent tranquillement l'allée menant à la maison. Ils tardent à administrer son médicament au bébé; elle en a pourtant besoin en urgence. Ashley a survécu, mais elle est paralysée à vie. Ses parents ont reçu une indemnité de 10 millions de dollars, et ce en partie parce que le personnel de soin avait été "trop lent".
Le cas Lady Di
La mort de la princesse Diana, en 1997, est un exemple plus célèbre de la lenteur parfois fatale des soins d'urgence. Selon les rapports, l'ambulance de Diana n'aurait dû mettre qu'entre cinq et dix minutes pour atteindre l'hôpital; elle en mit quarante. Le chauffeur respectait les procédures d'urgence françaises, il a donc conduit lentement pour "ne pas exposer la patiente à des chocs et à des heurts". John Oschner, spécialiste américain de chirurgie cardiovasculaire, estime que Diana aurait pu être sauvée si elle était arrivée aux urgences plus tôt.
Parmi les exemples inverses, on peut citer celui d'une femme qui n'avait qu'une blessure au doigt: son ambulance traversa un carrefour avec sirène et gyrophares (ce que les ambulanciers américains appellent "to be running hot") et heurta un autre véhicule; le choc lui fut fatal. Récemment, à New York, on a pu assister à deux accidents d'ambulance mortels; dans les deux cas, les chauffeurs avaient roulé à toute vitesse pour aller porter secours aux malades. Le «registre des accidents d'ambulances» fait état de plusieurs véhicules de secours ayant, au final, eu besoin d'être secourus.
Rien ne symbolise mieux l'importance du temps dans la médecine d'urgence que l'ambulance qui trace sa voie, gyrophare allumé, sirène hurlante. On a parfois raison de penser que la vitesse est un atout: lorsqu'un patient fait un arrêt cardiaque, par exemple, il faut commencer la réanimation cardio-respiratoire le plus tôt possible; les chances de survie dépendent pour beaucoup du temps de réaction. Mais dans beaucoup d'autres cas, le temps (on parle ici de minutes) joue un rôle moins déterminant qu'on a pu le penser.
Prenez "l'heure d'or", un concept de médecine d'urgence, si célèbre et si reconnu que la télévision britannique en a même fait le titre d'une série médicale. La théorie de l'heure d'or veut que les patients gravement blessés aient beaucoup plus de chances de survivre s'ils arrivent à l'hôpital dans l'heure qui suit leur accident. Sur le papier, cette théorie semble tenir la route: si vous souffrez d'une hémorragie interne, le chirurgien doit pouvoir vous traiter le plus vite possible pour l'arrêter. Mais si l'heure d'or est devenue un dogme, il se trouve qu'aucune étude médicale sérieuse ne vient confirmer la validité de ce concept.
Vitesse et survie
Une récente étude parue dans les Annals of Emergency Medicine remet même en cause cette théorie pour ce qui est des patients atteints de blessures graves. Les auteurs ont étudié plus de 3000 patients souffrant de traumatismes particuliers: chute de la tension artérielle due à une hémorragie, à une blessure à la tête ou à un problème respiratoire. A chaque fois, ils ont noté à quel moment les secours avaient été alertés. Ils ont comparé ces données avec l'état dans lequel les patients étaient sortis de l'hôpital.
Résultat: le fait que les services de secours aient été appelés plus tôt n'augmentait pas les chances de survie de manière significative. Cette découverte est fascinante, et ce en partie parce que la question centrale "quelle est l'importance de la rapidité des soins avant l'arrivée à l'hôpital ?" n'avait jamais donné lieu à une analyse aussi fine. D'autres études avaient tenté de mesurer le rôle que jouait la vitesse des ambulances dans la survie des patients, mais elles s'étaient heurtées à un problème de taille: les ambulanciers se comportant différemment suivant la gravité de la situation (vitesse de conduite, temps passé avec les patients), il était impossible de faire ressortir le rapport entre temps et survie. La nouvelle étude a rencontré les mêmes problèmes, mais les auteurs ont eu recours à plusieurs méthodes sophistiquées pour remédier à nombre d'entre eux; ce qui permet au lecteur de comprendre qu'en toute logique, quelques minutes de plus ou de moins ne condamnent ni ne sauvent les patients souffrant de graves traumatismes.
Quelles seront les conséquences de ces nouveaux résultats ?
Ils pourraient amener les ambulanciers à conduire plus prudemment. Les rédacteurs en chef de la revue qui a publié l'étude affirment ainsi que "pour les patients atteints de traumatismes, le protocole de transport habituel; gyrophare et sirène (...) pourrait ne pas être justifié". Cette conclusion est en partie motivée par une prise de conscience croissante des dangers que représente une ambulance lancée à pleine vitesse. Les accidents sont relativement fréquents; le taux de mortalité des ambulanciers est presque trois fois supérieur à celui de l'employé américain moyen. Dans certaines régions, trois accidents d'ambulance sur quatre surviennent lorsque le véhicule roule à pleine vitesse; les sirènes et les gyrophares ne font pourtant gagner que très peu de temps. Et il y a plus grave: ces accidents font plusieurs victimes extérieures à l'ambulance (lorsque le véhicule fait une embardée et percute une voiture, ou qu'il fauche un malheureux piéton); leurs blessures sont en général très sérieuses.
Mais il serait faux, et irresponsable, de prétendre que le temps n'est pas un facteur d'importance dans le domaine des soins d'urgence. Il faut parfois réagir aussi vite que possible; pratiquer la méthode de Heimlich sur une personne en train de s'étouffer peut lui sauver la vie, tout comme les chocs électriques chez les patients en arrêt cardiaque. Reste que les études les plus récentes et les plus approfondies laissent penser que certains aspects du transport de patients gravement atteints pourraient être plus importants que le facteur temps. Nous devrions donc tenter d'identifier les pratiques qui permettent de gagner quelques minutes, sans permettre pour autant de sauver des vies. C'est un point important, car on évalue la qualité de nombreuses sociétés d'ambulances privées en fonction de leur temps de réponse, ce qui pourrait encourager les ambulances à continuer à rouler à toute allure.
Il est peut-être temps de dire aux ambulanciers de ralentir et de se faire plus discret. Les organisations de professionnels des soins pré-hospitaliers y travaillent: des rapports comme celui-ci, réalisé par la National Association of EMS Physician (Association nationale des professionnels de l'aide médicale urgente) traduisent ce besoin de trouver un moyen de concilier vitesse et sécurité. Nous ne voulons pas que l'histoire d'Ashley se reproduise, mais nous ne voulons pas non plus que les ambulanciers mettent en danger leurs propres vies, celles de leurs patients et celles des autres; surtout maintenant que nous savons que la survie n'est pas toujours une question de minutes.
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